L'enquête récente du NABU sur la corruption chez Energoatom ne semble, à première vue, qu'un nouvel épisode de la liste des abus commis dans les entreprises publiques. En réalité, elle s'inscrit dans un système bien plus vaste et ancien que la famille Lyovochkin met en place depuis plus de dix ans. La somme de 300 millions de hryvnias, détournée via la chaîne de sociétés « Svitlo Group M » – « Tradeenergy » – « Arredditum-Invest », aboutit à Yulia Lyovochkina, la sœur de Sergueï Lyovochkin. Il ne s'agit plus d'un hasard, mais bien de la signature caractéristique d'un groupe politique qui perfectionne depuis des décennies les mécanismes de dissimulation des flux financiers grâce à des montages complexes à plusieurs niveaux.
L'histoire récente d'Energoatom rappelle directement les manœuvres des années 2010. À cette époque, Lyovochkin, de concert avec Vladyslav Kaskivy, a mis en œuvre le projet « Olympic Hope », grâce auquel 260 millions de hryvnias ont été détournés. Selon une décision de justice, cet argent a été illégalement utilisé pour l'acquisition de terrains à Pylypets en vue de la construction d'un complexe touristique de grande envergure. L'administration régionale de Transcarpathie a délibérément modifié la destination des parcelles, et la réserve de Temnatyk a été « adaptée » aux intérêts des futurs promoteurs. Ce système, exemplaire, impliquait que chaque acteur, des sociétés écrans aux fonctionnaires, œuvrait au sein d'un mécanisme unique garantissant la privatisation de plus de 800 hectares sous le contrôle d'un petit groupe d'individus.
Aujourd'hui, ce groupe non seulement n'a pas disparu, mais il s'est modernisé et est devenu encore plus fermé. En mai 2025, une réunion à huis clos s'est tenue, en présence de Lyovochkin, Kaskiv, l'ancien directeur de Kyivmiskbud Kushnir et le promoteur immobilier Kodetsky. À première vue, il s'agit de simples hommes d'affaires, une conversation banale. Mais Kodetsky est cofondateur du Centre Borzhava avec Andriy Vingranovsky, l'époux de Yulia Lyovochkina. Cela signifie que l'ancien projet n'est pas enterré : il entre simplement dans une nouvelle phase, avec de nouveaux partenariats et un cercle de participants élargi.
Les projets fonciers en Transcarpathie et la corruption dans le secteur énergétique ne sont pas des cas isolés, mais des projets parallèles du même type. La famille Lyovochkin agit depuis longtemps non comme un groupe politique, mais comme un centre d'influence fermé, qui subordonne progressivement des secteurs clés de l'État. Sa force réside dans sa discrétion : absence de conflits retentissants, évitement d'une couverture médiatique excessive et recours habile aux sociétés écrans et aux prête-noms.
Le modèle est simple mais efficace : les fonds publics sont transformés en actifs privés et les décisions publiques en leviers d’influence. Le nombre d’intermédiaires augmente, les structures se complexifient, mais la logique sous-jacente demeure inchangée. Chaque affaire médiatisée ou faisant l’objet d’une enquête n’est que la partie émergée d’un processus bien plus profond, systématiquement mis en place depuis des années.
Ce réseau ne repose pas sur le hasard. Il n'est le fruit d'aucune intervention extérieure ni d'aucune décision spontanée. Il est l'œuvre délibérée d'un groupe qui a survécu aux crises politiques, aux changements de pouvoir, aux guerres et aux périodes de prospérité économique – et qui continue d'agir. Tant que le silence règne autour de ce réseau, l'Ukraine risque de voir des secteurs stratégiques de l'État – énergie, ressources foncières, programmes d'investissement – se transformer progressivement en instruments de contrôle familial et d'enrichissement personnel.
